Donate Faites un don
EN | FR
The Margaret O'Gara Ecumenical Dialogue Collection
La collection de dialogues œcuméniques Margaret O'Gara
Online resource centre for Canadian bilateral ecumenical dialogues
Centre de ressources pour les dialogues œcuméniques bilatéraux canadiens
Show menu

Baptême et ‘économie sacramentelle’

Dialogue: Orthodox-Catholic
Date published: June 3, 1999
Persistent linkLien persistant : ecumenical-dialogue.ca/?r=76
This permanent link may be used for this document.

Ce lien permanent peut être utilisé pour ce document.

Also available in English


    Baptême et ‘économie sacramentelle’

    Consultation théologique entre orthodoxes et catholiques d’Amérique du Nord
    Crestwood, NY
    3 juin 1999

    Introduction

    Au cours des trois dernières années, la Consultation théologique nord-américaine orthodoxe-catholique a porté son attention sur la section finale du Symbole de Nicée-Constantinople : particulièrement sur la confession ” d’un seul baptême “, et sur la foi en un seul Saint-Esprit et ” l’Église une, sainte, catholique et apostolique “, à laquelle cet unique baptême est étroitement relié et avec laquelle il constitue une unité indivisible. Nous avons choisi de considérer ce sujet avant tout comme faisant partie d’une réflexion continue plus large sur le rôle constitutif du baptême dans l’établissement et la révélation du caractère fondamental de l’Église comme communion. En second lieu, nous souhaitons répondre aux critiques formulées par différents groupes à propos du document publié par la Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe, à Balamand (Liban) en 1993, L’Uniatisme, méthode d’union du passé, et la recherche actuelle de la pleine communion, spécialement aux protestations contre l’appel lancé dans ce document pour la fin de la pratique de la réitération du baptême des convertis (§ 13) et à la référence des Communions catholique et orthodoxe comme Églises sœurs (§ 14). Finalement, nous reconnaissons que notre prise en considération de ces protestations nous renvoie aux déclarations communes précédentes que notre propre Consultation avait produites : ” Le principe d’économie ” (1976) ; ” A propos de l’Agenda du Grand et Saint Concile ” (1977) ; ” A propos du Document de Lima ” (1984) ; ” Apostolicité comme don de Dieu à l’Église ” (1986) ; notre ” Réponse ” au ” Document de Bari ” produit par la Commission Internationale en 1987 ; et finalement notre ” Réponse ” (1994) au document de Balamand lui-même. En élaborant la présente déclaration, nous avons choisi de donner notre propre avis et d’offrir ” une investigation théologique et historique plus approfondie ” de ce que ” nos Églises estiment être le même contenu essentiel de la foi présent chez l’une et l’autre ” (” Réponse au Document de Balamand “, n 9).

    Dans les sections qui suivent, nous nous efforcerons : 1 de résumer nos conclusions concernant notre compréhension commune du baptême, comme de son unité avec la vie même de l’Église et l’action de l’Esprit Saint ; 2 d’élucider les problèmes qui sont survenus de manière relativement récente à propos de la reconnaissance mutuelle du baptême des uns et des autres ; 3 de présenter nos conclusions, en même temps que certaines recommandations que nous estimons nécessaires pour que notre dialogue, à ses différents niveaux, s’établisse sur une base solide et non ambiguë. Nous croyons que c’est seulement si nous atteignons cette clarté dans notre commune compréhension du baptême, que nos Églises pourront discuter, dans la charité et la vérité, ces questions qui, actuellement, apparaissent comme de véritables obstacles pour notre unité dans un seul Pain et une seule Coupe du Christ.

    I. Le baptême

    1. Une question de foi : le Baptême se fonde et tire sa réalité de la foi du Christ lui-même, la foi de l’Église et la foi du croyant.
      1. La foi du Christ
        Par cette expression paulinienne, nous nous référons au fait que le baptême, comme tous les sacrements, nous est donné avant tout comme le résultat de la fidélité aimante du Christ vis-à-vis de son Père, et comme un signe de sa fidélité dans l’Esprit Saint vis-à-vis de l’humanité déchue, si bien que ” l’homme n’est pas justifié par les œuvres de la loi, mais seulement par la foi de Jésus-Christ ” (Ga 2, 16 ; cf. Rm 3, 22. 26 ; Ph 3, 9). Le Baptême n’est pas une œuvre humaine mais la renaissance d’en haut, ” par l’eau et l’Esprit ” qui nous introduit dans la vie de l’Église. Il est ce don par lequel Dieu fonde et établit l’Église comme communauté de la Nouvelle Alliance, ” l’Israël de Dieu ” (Ga 6, 16), en nous greffant sur le corps du Messie crucifié et ressuscité (Rm 6, 3-11 ; 11, 17-24) dans le seul sacrement (mysterion) qui est le Christ lui-même (Ep 1, 3 ; 3, 3 ; Col 1, 27 et 2,2).
      2. La foi de l’Église
        Dans l’Église des Apôtres et des Pères, le baptême n’a jamais été compris comme une cérémonie privée mais comme un événement communautaire. Ceci est indiqué par le développement du jeûne du Carême au IVe siècle, lorsque les catéchumènes recevaient leurs instructions finales avant le baptême pendant la vigile pascale : leur baptême était pour la communauté tout entière l’occasion du repentir et du renouveau. De même, la formulation définitive de la foi de l’Église tout entière, le ” nous croyons ” du symbole, a son origine dans les questions solennelles adressées au candidat par le ministre du sacrement devant les fonts baptismaux. Donc, celui qui est baptisé, l’est dans l’unique communauté du Messie, et le candidat est tenu à faire sienne cette foi de la communauté tout entière dans la personne et dans les promesses du Sauveur. En tant qu’Église, nous reconnaissons comme digne de confiance celui qui disait : ” Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ” (Jean 11,25). C’est là la foi des Apôtres et des Pères, des martyrs et des ascètes et de ” tous les saints dans chaque génération, qui ont plu à Dieu ” (Liturgie de saint Jean Chrysostome). Selon les paroles du renouvellement des promesses du baptême dans la liturgie pascale du rite romain, ” telle est notre foi. Telle est la foi de l’Église que nous sommes fiers de proclamer dans le Christ Jésus, notre Seigneur “.
      3. La foi du chrétien
        Comme il vient d’être dit, chaque chrétien est tenu de faire sienne la foi de l’Église. Le ” nous croyons ” de l’Église entière doit devenir le ” je crois ” du chrétien individuel, qu’il soit exprimé par l’adulte candidat au baptême en son propre nom, ou bien au nom de l’enfant par son parrain et la communauté assemblée, dans la pleine attente que lorsqu’il aura grandi, l’enfant fera sienne cette foi commune. Par le baptême, chaque chrétien devient ” une nouvelle créature ” (2 Co 5, 17) ; il est appelé à croire et ” parvenir à l’unité dans la foi et dans la connaissance du Fils de Dieu … à la taille du Christ dans sa plénitude ” (Ep 4, 13). Le baptême est le commencement de la vie de chaque croyant dans l’Esprit, l’implantation dans chacun de la semence de la plénitude du Christ ” qui remplit tout en tous ” (Ep 1, 23) : une vie sur terre qui est tout à la fois la réalité présente et la vocation permanente de chaque chrétien, comme le ” temple du Saint Esprit ” (1 Co 6, 19) et l’habitation de la gloire divine (Jn 17, 22-24). L’initiation chrétienne est le fondement de notre transfiguration ” de gloire en gloire ” (2 Co 3, 18). Elle appelle chacun de nous au combat spirituel comme des soldats du Christ (Ep 6, 10-17) et oint chacun de nous avec l’huile de l’Esprit Saint comme prêtres qui, à l’imitation du Christ, ont à s’offrir eux-mêmes ” comme un vivant sacrifice agréable à Dieu ” (Rm 12, 1 ; cf Ph 4, 18), et comme prophètes qui ont à appeler sur eux-mêmes et sur le monde le feu d’en haut qui transforme (cf. 1 R 18, 36-39 ; Mt 3, 11 ; Lc 12, 49). Dans le baptême, nous croyons aussi que nous recouvrons la royauté d’Adam au Paradis et que ” ayant revêtu le Christ ” (Rm 13, 14), nous sommes appelés à devenir nous-mêmes les ” christs “, – les ” oints ” de Dieu.
    2. Le Baptême dans les rites de l’initiation
      1. Un moment d’un acte unique
        Dans les temps anciens, l’initiation dans l’Église était comprise comme un acte unique avec différents ” moments “. Ainsi, en Ac 2, 38-42, le baptême d’eau est directement suivi de la réception du Saint Esprit et de la ” fraction du Pain ” (Eucharistie) par la communauté ; d’autres textes des Actes présentent le don de l’Esprit comme précédant le baptême (Ac 10, 44-48 ; 11, 15-17). Cette continuité entre les différentes étapes se retrouve régulièrement dans les textes liturgiques les plus anciens et les premiers témoignages patristiques : le baptême d’eau au nom de la Trinité, l’onction post ou pré-baptismale et / ou l’imposition des mains implorant l’Esprit Saint, et la participation à l’Eucharistie. La disposition actuelle des rites orientaux d’initiation chrétienne de même que le rite de l’initiation chrétienne des adultes dans la liturgie romaine préservent cette unité. Dans le cas du baptême d’un enfant, la pratique médiévale latine a séparé cette unité d’action, différant la confirmation par l’évêque et la communion eucharistique à une date ultérieure. En effet, la distinction qui est habituellement faite aujourd’hui dans nos deux Églises entre le baptême et la chrismation, – ou la confirmation, – n’a jamais entendu séparer la réception de l’Esprit de l’incorporation au corps du Christ, dont le principe vivifiant est le même Esprit (cf., par exemple, Rm 8, 9-11 ; voir aussi § III, B 5 ci-dessous).
      2. Le mode du Baptême
        Dans les temps anciens comme dans l’Église orthodoxe aujourd’hui, le baptême est administré par triple immersion dans l’eau sanctifiée par la prière et l’huile, tandis que le ministre qui baptise invoque la Sainte Trinité. Dans le rite romain de l’Église catholique, depuis le Bas Moyen Age, le baptême est habituellement administré par infusion, ou versement, de l’eau sanctifiée par la prière et le signe de la croix, accompagné de l’invocation trinitaire. Dans les siècles passés, des Orthodoxes ont protesté contre l’infusion, – et certains le font aujourd’hui encore, – comme étant une forme invalide du baptême, basant leur protestation sur le mandat de baptême par immersion dans des passages bibliques comme Rm 6, 4 (” Par le baptême en sa mort, nous avons été ensevelis avec lui, afin que, comme Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous menions nous aussi, une vie nouvelle “). On peut toutefois répondre à cette critique avec les considérations suivantes : 1 ” immersion ” dans l’Église ancienne n’a pas toujours signifié immersion totale, – des recherches archéologiques montrent que plusieurs anciennes cuves baptismales étaient beaucoup trop peu profondes pour l’immersion totale ; 2 l’Église orthodoxe elle-même peut reconnaître, et reconnaît de fait la validité du baptême par infusion dans des cas de nécessité ; 3 pendant la partie majeure du millénaire passé, l’Église orthodoxe a effectivement reconnu le baptême catholique comme valide (voir notre discussion dans la partie II ci-dessous).
      3. Le symbolisme du Baptême.
        Le baptême est à la fois une mort et une nouvelle naissance, une purification du péché et le don de l’eau vive promise par le Christ, la grâce du pardon et de la régénération dans l’Esprit, le dépouillement de notre mortalité et le revêtement de la robe d’incorruptibilité. Les fonts baptismaux sont le tombeau d’où le chrétien nouveau-né ressuscite. Comme lieu de notre incorporation à la vie de l’Église, ils sont le ” sein ” et ” la mère ” du chrétien, la fontaine de la divine lumière de l’Esprit, la source jaillissante d’immortalité, la porte du ciel, l’entrée dans le Royaume de Dieu, la purification, le sceau, le bain de la régénération et la chambre nuptiale. Ce sont là des significations que les Pères ont vues dans ce sacrement et nous continuons à les affirmer toutes aujourd’hui.
      4. La non-réitération du Baptême.
        C’est notre enseignement commun que le baptême d’eau au nom de la Sainte Trinité, comme nouvelle naissance du chrétien, ne peut être donné qu’une seule fois. Dans le langage des Pères du IVe siècle, de l’Orient et de l’Occident, il confère le sceau indélébile (sphragis, caractère) du Roi. En tant qu’entrée définitive d’un croyant individuel dans l’Église, il ne peut être réitéré. Sans doute, la grâce du baptême peut être trahie par un péché grave, mais dans ce cas, les manières prescrites pour recouvrer la grâce sont le repentir, la confession et, – dans l’usage orthodoxe pour la réconciliation d’un apostat, – l’onction avec le Saint Chrême. On ne se sert jamais du baptême comme moyen de réconciliation avec l’Église ; nous avons toujours considéré comme un sacrilège la réitération du baptême.
    3. Les résultats de notre recherche : ” Nous confessons un seul baptême “.Les membres orthodoxes et catholiques de notre Consultation reconnaissent, dans nos deux traditions, la doctrine et la foi communes en ce qui concerne l’unicité du baptême, malgré les variations dans la pratique qui, nous le croyons, n’altèrent pas la substance du mystère. Nous sommes donc portés à déclarer que nous reconnaissons le baptême de nos deux Églises comme un seul et même baptême. Cette reconnaissance a des conséquences ecclésiologiques évidentes. L’Église est à la fois le lieu et le produit du baptême, sans que nous en soyons les auteurs. Cette reconnaissance exige que chaque partenaire dans ce dialogue reconnaissent une réalité ecclésiale chez l’autre, même si nous considérons sa manière de vivre cette réalité ecclésiale comme défectueuse ou incomplète. Dans notre commune réalité du baptême, nous découvrons le fondement de notre dialogue ainsi que la force et l’urgence de la prière du Seigneur Jésus ” pour que tous soient un “. Ici, enfin, se trouve le fondement certain de l’emploi moderne de l’expression ” Églises sœurs “. En même temps, puisque certains n’acceptent pas cette reconnaissance mutuelle du baptême avec toutes ses conséquences, les recherches et explications suivantes s’imposent.

    II. Problèmes de reconnaissance mutuelle du bapteme

    1. Incohérences dans la réception des adultes dans la Communion ecclésiale.
      1. L’administration centralisée de l’Église catholique moderne et l’absence de tout office ressemblant à la papauté dans l’Église orthodoxe moderne permettent de comprendre le contraste entre la diversité des modes de réception de catholiques pratiquées par les Églises orthodoxes locales, et la (relative) unité qui règne depuis cinq siècles dans la pratique de l’Église catholique recevant des Orthodoxes. Depuis les écrits de saint Augustin sur le schisme donatiste au Ve siècle, la tradition latine a pu se baser sur une logique claire et raisonnée pour la reconnaissance de la validité, bien que non nécessairement la pleine fécondité, du baptême trinitaire donné hors des frontières de l’Église visible. Cela ne signifie pas pour autant que la réitération du baptême d’Orthodoxes n’ait jamais eu lieu dans l’Église Catholique ; en fait, il apparaît que cela s’est produit assez fréquemment au Moyen Age. Au début du XVIe siècle, le pape Alexandre VI affirmait la validité du baptême orthodoxe, et, depuis lors, Rome a périodiquement confirmé cette règle. Néanmoins, la réitération du baptême a continué à être pratiquée aux frontières orientales de l’Europe catholique, en Pologne et dans les Balkans, – contrairement aux décisions romaines, – jusque dans le courant du XVIIe siècle. De plus, la pratique du ” baptême sous condition “, option pastorale destinée officiellement à des cas où surgit un doute véritable concernant la validité d’un précédent baptême, fut aussi largement, – à tort, – utilisée pour la réception de chrétiens orientaux ” dissidents “, et cela jusqu’à l’époque de Vatican II. Après cela, elle fut encore pratiquée occasionnellement dans certaines parties de l’Europe de l’Est. Vatican II reconnaissait cependant explicitement et la validité et l’efficacité des sacrements orthodoxes (Unitatis Redintegratio § 15 ; cf. Directoire œcuménique [1993], § 99a).
      2. Il est beaucoup plus difficile, – bien que non impossible, – de discerner dans l’Église orthodoxe une position constante concernant la réception de personnes baptisées dans une autre communion. D’un côté, depuis le concile in Trullo (692), les recueils canoniques faisant autorité incluent les décrets des conciles nord africains du IIIe siècle, présidés par Cyprien de Carthage, de même que les Canons apostoliques, importante collection orientale de la fin du IVe siècle. Cyprien, soutenu par son contemporain, l’évêque Firmilien de Césarée en Cappadoce, affirmait que le salut et la grâce ne sont pas communiqués par des communautés schismatiques, si bien que le baptême administré hors de la communion apostolique universelle est simplement invalide en tant qu’acte de l’initiation chrétienne, et dépourvu de l’Esprit qui donne la vie (voir Cyprien, Epp 69, 7 ; 71,1 ; 73, 2 ; 75, 17, 22-25). Bien que leur position sur le baptême fût destinée à exercer une grande influence, Cyprien et Firmilien reconnaissent tous deux qu’elle était relativement nouvelle, forgée probablement dans les années 230 afin de répondre aux immenses défis nouveaux que présentait le sectarisme chrétien à une époque de persécution ; mais ils insistaient que leur position découlait logiquement d’un sens clair des frontières de l’Église. Les Canons apostoliques, inclus dans le recueil plus volumineux des Constitutions apostoliques, et probablement représentatifs de la discipline de l’Église en Syrie dans les années 380, identifient les sacrements célébrés par ” des hérétiques ” comme illégitimes (can. 45 [46]), bien qu’il ne soit pas clair dans quel sens le mot ” hérétique ” a été utilisé ; le canon suivant interdit aux évêques et aux prêtres de réitérer le baptême de quelqu’un qui est déjà réellement baptisé ou de reconnaître le baptême de ” quelqu’un qui a été souillé chez les impies “, considérant de tels actes comme sacrilèges. De toute façon, autant Cyprien que les Canons apostoliques tracent une ligne très nette entre l’Église visible et authentique d’une part, et tout autre groupe qui existe en dehors de ses frontières d’autre part, et ils n’accordent aucune valeur quelconque aux rites de ceux ” du dehors “.D’un autre côté, une position plus nuancée prolonge la pratique orientale remontant au IVe siècle au moins. Cette position est reflétée par la première lettre canonique de Basile de Césarée (Ep.188, datée de 374) adressée à Amphiloque d’Iconium, lequel prétend suivre la pratique des ” anciens “. Basile distingue trois types de groupes ” hors ” de l’Église : les hérétiques, qui ” diffèrent par rapport à la foi en Dieu ” ; les schismatiques qui sont séparés du corps de l’Église ” pour certaines raisons ecclésiastiques et qui diffèrent des autres [chrétiens] sur des questions qui peuvent être résolues ” ; les ” parasynagogues ” ou dissidents, qui ont formé des communautés rivales, simplement en opposition à l’autorité légitime (Ep 188,1). C’est dans le seul cas des hérétiques au sens strict, c’est-à-dire ceux qui ont une compréhension différente de Dieu, et parmi lesquels Basile compte les manichéens, les gnostiques et les marcionites, qu’il prévoit la nécessité du baptême pour l’entrée dans la communion de l’Église. Concernant les deuxième et troisième groupes, Basile déclare qu’ils sont toujours ” de l’Église ” et, comme tels, peuvent être admis dans la pleine communion sans baptême. Cette ligne de conduite se retrouve aussi dans le canon 95 du concile in Trullo, qui distingue entre ” les sévériens ” (i.e. les non-Chalcédoniens) et les nestoriens, qui peuvent être reçus par la profession de foi ; les schismatiques, qui peuvent être reçus par la chrismation ; et les hérétiques, qui seuls, requièrent le baptême. Donc, malgré les règles solennelles des Ve et VIe conciles œcuméniques contre leurs positions christologiques, les ” sévériens ” et les nestoriens sont clairement comptés comme étant toujours ” de l’Église ” et semblent être compris dans la catégorie que Basile appelle les ” parasynagogues ” ; leur baptême est donc compris, – pour utiliser un langage scolastique, – comme valide, même s’il est peut-être illicite.
      3. Le schisme entre Catholiques et Orthodoxes, au contraire des schismes des Églises non-chalcédoniennes et syriennes orientales, intervint beaucoup plus tard et seulement très lentement. Les relations entre Catholiques et Orthodoxes à travers les siècles ont été, par conséquent, très variées, allant par moment de la pleine communion, jusque dans le Bas Moyen Age (et dans certaines régions jusque plus tardivement), jusqu’au rejet si absolu qu’il semblait exiger que l’on réitère le baptême de ceux qui passent d’une communion à l’autre. Il existe toutefois, dans la tradition orthodoxe, deux décisions synodales importantes, qui représentent la continuation de la politique énoncée par Basile et affirmée par le Synode in Trullo et par les canonistes byzantins postérieurs, et à notre avis, il faut leur accorder la plus grande importance. Il s’agit des décisions des Synodes de Constantinople en 1484 et de Moscou en 1667. La première décision, qui fait partie d’un document dans lequel le patriarcat de Constantinople répudie formellement l’Union de Ferrare-Florence (1439) avec l’Église catholique, prescrivait que des Catholiques pouvaient être reçus dans la communion orthodoxe par l’onction du Saint Chrême. Dans l’office de réception de Catholiques convertis, publié par le Synode, cette onction n’était pas accompagnée des prières typiques du rite d’initiation ; on y trouve plutôt des formules de caractère pénitentiel. Le rite semble dès lors être compris comme une partie du processus de réconciliation, plutôt que comme la réitération de la chrismation post-baptismale. Le concile de Moscou en 1667 évoque cette stipulation de Constantinople en 1484, de même que le canon du Synode in Trullo, dans son décret qui interdit la réitération du baptême de Catholiques, décret qui fait toujours autorité dans les Églises orthodoxes slaves orientales jusqu’aujourd’hui.
    2. Constantinople 1755, le Pedalion de Nicodème de la Sainte Montagne et l’” économie sacramentelle “
      1. Constantinople 1755 : dans une atmosphère d’intense tension entre l’orthodoxie et le catholicisme, provoquée par l’union Melkite de 1724 et par le prosélytisme intensifié poursuivi par les missionnaires catholiques au Proche-Orient et en Transylvanie gouvernée par les Habsbourg, le patriarche œcuménique Cyrille V émit un décret en 1755 exigeant que soient baptisés les Catholiques romains, les Arméniens et tous ceux qui demandaient la pleine communion avec l’Église orthodoxe, et qui se trouvaient encore hors de ses frontières visibles. Ce décret n’a jamais été formellement annulé, mais des décisions ultérieures du patriarcat de Constantinople (par exemple, en 1875, 1880 et 1888) accordèrent la réception de nouveaux communiants par la chrismation plutôt que par le baptême. Néanmoins, ces décisions laissent cette option de la réitération du baptême à la ” discrétion pastorale “. De toute façon, une vaste théologie nouvelle des sacrements, apparue dans l’Orthodoxie de langue grecque vers la fin du XIXe siècle, a fourni une théorie raisonnée à cette discrétion pastorale. Pour mieux connaître la source de cette théorie raisonnée, nous devons nous tourner vers un personnage qui a exercé une grande influence, saint Nicodème de la Sainte Montagne (1748-1809).
      2. Nicodème et le Pedalion.
        Le monde orthodoxe a une immense dette vis-à-vis de ce moine athonite, qui a édité et publié la Philocalie (1783) ainsi que de nombreux autres ouvrages patristiques, pastoraux et liturgiques. Dans le Pedalion (1800), édition de textes canoniques, avec des commentaires, qui a joui d’une immense influence, Nicodème donne forme et substance à la demande de réitération du baptême décrétée par Cyrille V. En pleine sympathie avec le décret de 1755, et motivé par son estime pour l’époque patristique, qu’il élevait au rang d’un âge d’or, Nicodème soulignait l’antiquité des conciles africains et des Canons apostoliques, et leur accordait, par conséquent, la priorité, allant jusqu’à soutenir énergiquement la thèse que ces Canons provenaient du premier siècle. Nicodème considéra tous ces documents, avec leur ecclésiologie essentiellement exclusive, comme la voix universelle de l’Église ancienne. De la sorte, il inversa ce qui avait été la pratique normative de l’Église orientale depuis au moins le IVe siècle, en même temps qu’il reconnaissait l’autorité et de la législation conciliaire de Cyprien sur le baptême, et des Canons apostoliques. Des canonistes byzantins antérieurs avaient compris la procédure de Cyprien comme dépassée par une pratique plus tardive et avaient interprété les Canons apostoliques à la lumière des décisions de Basile le Grand, du Synode in Trullo et d’autres textes anciens faisant autorité.
      3. ” L’économie sacramentelle ” selon Nicodème de la Sainte Montagne.
        Nicodème était bien obligé, néanmoins, de tenir compte de l’approche de Basile le Grand au sujet du baptême ” hors ” de l’Église visible, et du Synode in Trullo, auquel on attribue le rang d’” œcuménique “, quoiqu’elle s’écartât de celle de Cyprien. Il s’efforça de réconcilier ses sources entre elles en faisant appel à un terme très ancien, oikonomia, utilisé dans le Nouveau Testament et dans la littérature patristique pour désigner à la fois le plan salvifique de Dieu et la prudente administration des affaires de l’Église. Dans la littérature canonique tardive, on l’utilisait aussi comme l’équivalent approximatif de ” discrétion pastorale ” ou de gérance. Se servant de ce terme pour distinguer entre ce qu’il considérait la politique ” stricte ” (akribeia) de l’Église ancienne et la pratique apparemment plus souple (oikonomia) de l’époque byzantine, Nicodème a fini par attribuer, sans le vouloir, une signification nouvelle au terme ” oikonomia “. Au moyen de cette nouvelle compréhension, Nicodème a pu harmoniser la pratique plus ancienne et plus stricte de Cyprien d’une part, et celle de Basile et des autres anciennes sources canoniques d’autre part. Il pouvait lire ainsi les Pères du IVe siècle comme ayant exercé ” l’économie ” concernant le baptême donné par les ariens, afin de faciliter leur réinsertion dans l’Église, exactement comme le Synode in Trullo l’avait fait pour les ” sévériens ” et les nestoriens. Il pouvait aussi interpréter le traitement du baptême latin par Constantinople au Synode de 1484 et les décisions orthodoxes ultérieures comme des actes ” d’économie ” destinés à garder les Orthodoxes à l’abri de la colère de la puissance supérieure de l’Europe catholique. À son époque, disait-il, les Orthodoxes étaient protégés par le pouvoir du sultan turc, et étaient donc de nouveau libres d’appliquer ” l’akribeia “, exigence stricte de l’Église de toujours. Il fallait, par conséquent, que les Latins soient désormais rebaptisés.
      4. Compréhensions différentes de l’expression ” discrétion pastorale “
        Après la publication du Pedalion en 1800, soutenue par la redoutable autorité personnelle de Nicodème, les principes opposés d’akribeia et d’oikonomia furent acceptés par une grande partie de l’Orthodoxie de langue grecque comme régissant l’application du droit canon de manière à permettre soit la réitération du baptême de chrétiens occidentaux (katakribeian), soit leur réception par la chrismation ou la profession de foi (katoikonomian). Dans un cas comme dans l’autre, on se gardait d’attribuer aucune réalité en soi au baptême. C’est la compréhension qui sous-tend la ” discrétion pastorale ” enjointe par le Synode de Constantinople de 1875, comme par de nombreuses directives et décisions du patriarcat œcuménique depuis lors. Dans l’œuvre de quelques canonistes modernes, l’oikonomia est comprise comme l’usage d’une autorité par la hiérarchie de l’Église, dans des cas de nécessité pastorale, afin d’accorder une sorte de réalité rétroactive aux rites sacramentels célébrés ” hors ” de l’Église orthodoxe, rites qui, dans et par eux-mêmes, demeurent invalides et dépourvus de grâce. Dans cette interprétation, la hiérarchie est dotée d’un pouvoir pratiquement infini, capable, pour ainsi dire, de créer ” la validité ” et d’accorder la grâce là où elles étaient absentes auparavant. Cette nouvelle compréhension de l’oikonomia n’a cependant pas bénéficié d’une reconnaissance universelle dans l’Église orthodoxe. Nous avons déjà noté que les Églises orthodoxes slaves orientales s’en tiennent à la compréhension et à la pratique qui remontent à l’époque byzantine, sans la prétention de rendre valide ce qui est invalide, ni invalide ce qui est valide. Même à l’intérieur de l’Orthodoxie de langue grecque, ” l’économie sacramentelle “, dans le plein sens que lui donnait Nicodème, n’est pas acceptée par tous. Il en résulte, qu’au sein de l’Orthodoxie à l’échelle mondiale, la question de ” l’économie sacramentelle ” demeure l’objet d’un débat intense, mais l’interprétation de Nicodème trouve toujours des défenseurs dans d’importants cercles théologiques et monastiques. Bien que, dans le monde orthodoxe, ces voix soient significatives, nous ne croyons pas qu’elles représentent la tradition ni l’enseignement constants de l’Église orthodoxe sur le baptême.

    III. Conclusions et Recommandations

    1. Conclusions
      Les “incohérences ” que nous avons évoquées au début de la deuxième section de ce document s’avèrent, après examen, moins significatives qu’à première vue. Il est vrai qu’une minorité dans l’Église orthodoxe, refuse d’accorder une validité quelconque au baptême catholique, et donc continue à justifier en théorie, – même si c’est moins fréquent dans les faits, – la réitération du baptême de convertis du catholicisme. Toutefois, à l’encontre de ce fait, nous présentons les considérations suivantes

      1. Les Églises orthodoxe et catholique enseignent toutes deux la même compréhension du baptême. Cet enseignement identique s’inspire des mêmes sources dans l’Écriture et la Tradition, et sans variation significative depuis les plus anciens témoins de la foi jusqu’aujourd’hui.
      2. Un élément central de cet enseignement unique est la conviction que nous recevons le baptême comme un don de Dieu dans le Christ par le Saint-Esprit. Il ne vient donc pas ” de nous ” mais d’en haut. La pratique du baptême n’est donc pas une simple exigence de la part de l’Église ; c’est plutôt le baptême qui est le fondement même de l’Église. Il édifie l’Église. Elle non plus n’est pas ” de nous “, mais en tant que Corps du Christ vivifié par l’Esprit, elle est la présence en ce monde du monde à venir.
      3. Le fait que nos Églises partagent et pratiquent cette même foi et cette même doctrine exige que nous reconnaissions les uns chez les autres, le même baptême, et donc aussi, que nous reconnaissions les uns chez les autres, la réalité présente, aussi imparfaite qu’elle soit, de la même Église. Par le don de Dieu, nous sommes tous, selon les mots de saint Basile, ” de l’Église “.
      4. Nous trouvons que cette reconnaissance mutuelle de la réalité ecclésiale du baptême, malgré nos divisions, est tout à fait cohérente avec l’enseignement perpétuel des deux Églises. Cet enseignement a été réaffirmé à de multiples occasions. L’expression formelle de la reconnaissance du baptême orthodoxe a été constante dans l’enseignement des papes depuis le début du XVIe siècle ; le deuxième concile du Vatican l’a soulignée encore. Les synodes de Constantinople en 1484 et de Moscou en 1667 attestent la reconnaissance implicite du baptême catholique par les Églises orthodoxes, et cela d’une manière pleinement en accord avec l’enseignement et la pratique antérieurs de l’antiquité et de l’époque byzantine.
      5. La théorie influente de ” l’économie sacramentelle ” proposée dans les commentaires du Pedalion ne représente ni la tradition ni l’enseignement perpétuel de l’Église orthodoxe ; elle ne représente qu’une innovation du XVIIIe siècle, motivée par les circonstances historiques particulières de ces temps-là. Elle ne correspond ni à l’enseignement de l’Écriture, ni à celui de la plupart des Pères, ni à celui des canonistes byzantins tardifs, ni non plus à la position majoritaire des Églises orthodoxes aujourd’hui.
      6. Les Catholiques qui, aujourd’hui, accusent les Orthodoxes de pécher contre la charité, et même de sacrilège, à cause de la pratique de la réitération du baptême, devraient se rappeler que, alors que la réitération du baptême des chrétiens orthodoxes était officiellement répudiée par Rome depuis 500 ans, elle a pourtant continué à être pratiquée à certains endroits jusqu’au siècle suivant, parfois sous le prétexte de ” baptême sous condition ” et cela jusqu’à nos jours.
    2. Recommandations
      Sur base de ces conclusions, nous voudrions faire à nos Églises les suggestions suivantes:

      1. Que la Commission internationale reprenne à nouveau là où la Déclaration de Bari (1987), Foi, Sacrements et Unité de l’Église, arrivait à une abrupte conclusion, reconnaissant simplement les similitudes et les différences dans la pratique de l’initiation chrétienne, et qu’elle réaffirme explicitement et clairement, avec pleine explication, les fondements théologiques pour une mutuelle reconnaissance par les deux Églises de leurs baptêmes respectifs;
      2. Que nos Églises se penchent courageusement sur les dangers que présentent quelques théories modernes sur ” l’économie sacramentelle “, à la fois pour la poursuite de notre dialogue œcuménique et pour l’enseignement perpétuel de l’Église orthodoxe;
      3. Que le patriarcat de Constantinople retire formellement son décret sur la réitération du baptême de 1755 ;
      4. Que les Églises orthodoxes déclarent que la réception orthodoxe de Catholiques par la chrismation ne constitue une réitération d’aucune partie de leur initiation sacramentelle ;
      5. Que nos Églises indiquent clairement que la reconnaissance mutuelle du baptême ne résout pas, par elle-même, les questions qui nous divisent, ni ne rétablit la pleine communion ecclésiale entre les Églises orthodoxes et catholique, mais qu’elle écarte un obstacle fondamental sur notre chemin vers la pleine communion.